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En décembre passé, la Commission de la concurrence prenait la décision provisoire d’interdire à ETA, filiale du groupe Swatch, la livraison de mouvements mécaniques à des clients tiers. Swatch Group vient de déposer une plainte contre cette décision. Une action qui secoue le monde horloger, habitué à rester soudé face aux tempêtes.
Une industrie soudée dans l’adversité

Depuis ses premiers pas, l’horlogerie suisse s’est développée grâce à la mutualisation de ses moyens de production et de ses mouvements. Déjà, dans les années 1920, les industriels horlogers avaient choisi de s’unir pour protéger l’industrie suisse de la concurrence. En effet, à cette époque, les manufactures américaines et japonaises, profitaient de l’exportation des montres et des mouvements en pièces détachées pour s’approprier le savoir-faire Swiss Made. L’exportation permettait non seulement de contourner les taxes à l’importation, mais favorisait un transfert technologique vers les États-Unis et le Japon, qui en profitèrent pour développer leur industrie horlogère et faire concurrence à la Suisse.
Une tactique payante Lors de la crise horlogère qui secoua la Suisse en 1980, la confédération demanda le soutien des banques pour sauver les deux principaux groupes horlogers, ASUAG et SSIH.

Nicolas Hayek, alors consultant, proposa d’appliquer le procédé qui avait déjà fonctionné et de fusionner les deux entités. En concentrant la totalité de l’outil de production sur un seul groupe, ETA, les Suisses non seulement centralisaient l’unité de recherche et développement ainsi que l’outil de production, mais réalisaient des économies d’échelle importantes grâce aux volumes de production consolidés de l’ensemble des marques du groupe et des clients tiers. Cette solution a permis d’améliorer la situation concurrentielle.

ETA, une position dominante

Grâce à ce système, et par décision politique, ETA est devenu fournisseur exclusif pour sauver l’industrie suisse. À l’exception de Rolex et Jaeger LeCoultre, toutes les marques se sont fournies chez ETA, qui possédait 85 % des parts de marchés en volume. Mais en 2002, devant le mécontentement
des clients d’ETA que Swatch Group, profitant de sa position dominante, ne livrait pas, la COMCO a décidé que ETA devrait continuer à fournir tous ses clients jusqu’à fin 2008. En 2009 cependant, les plaintes émanant des clients et des fournisseurs reprennent.
Or Nicolas Hayek, estimant que ce n’est pas à Swatch Group de fournir ses concurrents qui investissent plus dans le marketing que dans leur outil industriel, annonce l’arrêt des livraisons d’ébauches, ces mouvements bruts livrés aux finisseurs, mais également la livraison des mouvements finis.

Fort de son droit, il demande à la COMCO l’autorisation de choisir ses clients. Finalement en 2011, la COMCO décide que le Swatch Group devra continuer à livrer tous ses clients jusqu’à fin 2019.

Le Swatch Group négocie des réductions de volumes annuelles et des augmentations de prix, essentielles pour préserver sa capacité à dégager des marges bénéficiaires suffisantes pour financer son outil industriel.
Soucieux de conserver ses parts de marché, Swatch Group veut éviter que les concurrents de ses marques n’investissent dans leur marketing pour concurrencer OMEGA, Longines ou Tissot.

Une réévaluation des accords troublante

En septembre 2018 la COMCO annonce à Swatch Group qu’elle va procéder à une nouvelle évaluation de la situation et indique que Swatch Group n’aura plus le droit de livrer ses clients afin de favoriser l’émergence d’une concurrence crédible. Cette mesure fragilise Swatch Group qui est le plus gros employeur de l’industrie horlogère suisse, et met les marques dans des situations difficiles en les coupant de leur principale source d’approvisionnement.

À part Sellita qui produit des mouvements semblables à ETA, mais qui n’a pas sa capacité d’innovation, personne en Suisse n’est capable de se substituer en prix, qualité et quantités à ETA. Une telle décision ne peut que forcer le Swatch Group à concentrer ses efforts de R & D sur ses propres marques. Les seuls concurrents sont les marques qui disposent de leur propre outil de production comme Rolex, Audemars Piguet ou encore Richemont avec ses manufactures.

Des décisions à prendre

Aujourd’hui pour Nick Hayek, limiter la filiale ETA à un tiers du marché suisse ne poserait pas de problème. « Mais cette décision doit être prise maintenant », indique-t-il. En cas de décision trop tardive, Swatch se verrait dans l’impossibilité de livrer des tiers durant deux ans.
« Nous ne souhaitons plus jamais devenir un acteur dominant dans les mouvements de montres », explique le directeur général de Swatch Group. La part de marché d’ETA est actuellement inférieure à 33 % ce qui ne nous place pas dans une position de monopole. Sur la base de la taille actuelle du marché des mouvements mécaniques, un tiers représenterait 500 000 unités.
« Notre objectif de livraison s’étale entre 350 000 et 450 000 pièces, car nous voulons produire des mouvements plus sophistiqués et chers. » Mi décembre, la Comco a annoncé pour l’été 2020 sa décision de prolonger l’obligation de livraison de mouvements mécaniques pour la filiale du groupe Swatch, ETA, à des marques horlogères ne faisant pas partie du géant horloger. « Nous avons suspendu l’obligation d’ETA de livrer à des tiers, mais la filiale n’est pas totalement libre de livrer à des clients qu’elle n’avait pas jusqu’à présent », a expliqué Patrik Ducrey le directeur de la ComCo.
Des accords vont être scellés rapidement, pour la bonne santé de l’industrie suisse. N.K.

www.swatchgroup.com