Classiques ou atypiques, les pierres ornementales ont le vent en poupe dans la création joaillière et bijoutière. Le point avec le gemmologue et négociant Emmanuel Thoreux, qui évoque plus particulièrement les pierres d’Amérique du Nord dont il est spécialiste.
L’OFFICIEL HORLOGERIE & BIJOUTERIE : Quel regard portez- vous sur les pierres ornementales dans la création bijoutière et joaillière d’aujourd’hui ?
EMMANUEL THOREUX : Leur utilisation dans la confection de bijoux n’est pas nouvelle puisque, dans l’Antiquité déjà, elles servaient à confectionner des bijoux, pour les souverains notamment. Aujourd’hui face aux pierres précieuses et aux pierres fines, elles ont toujours des atouts à faire valoir : leur couleur, leur diversité, leur aspect parfois atypique… et bien sûr leur prix !
Tout cela concourt au développement de leur marché, avec, selon moi, deux sous-marchés distincts. Celui des grandes marques qui travaillent avec des matières assez classiques, comme le lapis-lazuli, la cornaline, le jade… Et celui, parfois plus innovant, des créateurs indépendants.
Certains recourent volontiers à des matières atypiques, dont par exemple des jaspes aux motifs étonnants. Dans tous les cas, les pierres ornementales, qu’elles soient opaques ou semi-translucides, permettent de proposer des jolis bijoux à des prix raisonnables.
L’OHB : Quelles sont les pierres ornementales les plus en vogue actuellement ?
E. THOREUX : Le top 3 reste composé du lapis-lazuli, de la turquoise et de la malachite. Ce qui n’est pas sans poser de problème au regard des turbulences géopolitiques actuelles.
Car le lapis-lazuli vient principalement d’Afghanistan aux mains des talibans depuis 2021, la malachite de La République démocratique du Congo en lutte contre des armées rebelles, et la turquoise du Mexique. Mais cela suscite aussi des transferts vers d’autres matières.
L’OHB : Dans le cadre de ces transferts, quelles sont les pierres qui émergent ?
E. THOREUX : C’est difficile à dire. Certains catalogues proposent plus de 400 variétés de pierres ornementales : cornaline, agate, obsidienne, jade, opale, pierre de soleil, labradorite, jaspe…
Ce qui est clair, c’est que la couleur est un critère primordial. Les couleurs vives, en particulier le bleu et le vert, suscitent un intérêt plus marqué. Il y a plein de pierres dans ces couleurs.
À côté des classiques, je citerai l’opale lagon ou encore une pierre découverte récemment : la calcédoine cuprifère dotée d’inclusions de chrysocolle ou de malachite. Dans la plupart des cas, les tailles en cabochon sont à privilégier car elles permettent de mettre en valeur les textures, les effets visuels ou les inclusions de la gemme.
L’OHB : Vous êtes spécialisé sur les pierres d’Amérique du Nord. Quels sont leurs atouts ?
E. THOREUX : Tout d’abord, il y a une grande diversité car on trouve aussi bien des précieuses et des pierres fines, comme les saphirs du Montana, les grenats Navarro, les péridots d’Arizona, les sunstones de l’Oregon, que des pierres ornementales comme des jaspes, des opales communes ou des agates, mais aussi des perles fines ou encore de la nacre dans le fleuve du Mississippi.
Aujourd’hui, ces pierres ont un atout fort à faire valoir car elles sont parfaitement traçables. En Amérique du Nord, l’accès aux mines ne pose aucun problème de sécurité et le négociant peut acheter directement aux mineurs.
Le circuit est alors très transparent. Certes les mineurs américains font parfois face à des conditions de travail très rudes au milieu du désert de l’ouest américain, mais ces conditions respectent des normes occidentales et l’essentiel des exploitations de gemmes y reste à taille humaine.
De plus, des initiatives locales essaient d’aller encore plus loin en matière d’environnement, notamment en rebouchant et en replantant après l’exploitation des sites.
L’OHB : Y a-t-il des pierres qu’on ne trouve qu’en Amérique du Nord ?
E. THOREUX : Dans les pierres ornementales, il y a par exemple certains jaspes qu’on ne trouve que là-bas : ainsi du jaspe de Biggs ou du jaspe Deschutes.
Ce sont des matières particulièrement intéressantes avec des motifs incroyables issus de la complexe et mystérieuse formation des minéraux et des gemmes.
L’OHB : Quel est l’enjeu pour l’avenir ?
E. THOREUX : Il y a un gros travail de pédagogie pour faire découvrir la richesse des pierres ornementales au grand public. Elles le méritent car elles peuvent présenter des motifs d’une grande subtilité et ainsi offrir de belles possibilités de création bijoutières à prix raisonnables. C.N