Jacques Mazet, artisan d’art joaillier-horloger, est le fondateur de la maison MAZET dont la devanture est à la hauteur du savoir-faire artisanal d’exception. Le joaillier passionné nous entraîne sur la route des mines.
L’Officiel Horlogerie & Bijouterie : Quand avez-vous créé la maison MAZET ?
Jacques Mazet : J’ai repris la boutique en 1984 que nous avons totalement restaurée, d’ailleurs elle fait partie des plus anciennes et plus belles demeures répertoriées dans l’arrondissement. J’ai développé l’activité joaillerie haut de gamme et continué la restauration de montres anciennes, plus particulièrement des pendules.
L’OHB : Vous êtes un joaillier, un peu particulier.
J. Mazet : Je fus négociant en pierres précieuses à Paris et j’ai longtemps collaboré avec la maison Chaumet. J’ai eu aussi le privilège d’être le premier agent Breguet de Paris. Passionné par les gemmes, j’ai commencé à voyager, en particulier au Brésil dans les mines d’émeraudes, d’améthystes, de quartz et toutes les pierres fines et précieuses que l’on trouve en Amérique du Sud, pour choisir les gemmes directement chez le producteur. Dès le début, j’ai voulu travailler dans la grande tradition joaillière où les pierres sont présentées aux clients et l’esquisse du bijou réalisée dans le même temps. Cette manière d’aborder la joaillerie a plu rapidement.
L’OHB : Pourquoi avez-vous choisi d’être « chercheur de pierres » ?
J. Mazet : J’ai constaté qu’en dehors du diamant, du rubis, du saphir, de l’émeraude, de l’améthyste et de la citrine, les joailliers ne présentaient pas d’autres choix. Pourtant, il existe de 3500 à 4000 variétés de minéraux dans le monde. Pour cette raison, je suis chercheur de gemmes et je présente ainsi 50 familles de pierres différentes dans la vitrine à l’année. J’offre un large choix qui va de la pierre précieuse à la pierre fine, en passant par l’ornementale et les perles. En exemple, la pierre de lune est magnifique dans sa diversité et palette de couleurs, et pourtant elle est difficile à trouver chez les bijoutiers- joailliers.
L’OHB : La façon dont vous exercez votre métier semble plaire.
J. Mazet : Notre façon de travailler interpelle puisque nous sommes une maison vraiment artisanale où tous les métiers sont réalisés en interne. Cette manière différente d’aborder le métier a été largement relayée par les grands magazines. Notre méthode est aussi avantageuse pour nos clients. En effet, il existe deux systèmes pour acheter des gemmes ; par téléphone où vous obtenez toutes les pierres nécessaires et en une heure auprès des négociants, mais vous les payez à un prix nettement plus élevé. Mes clients sont les premiers bénéficiaires des bons prix que j’obtiens auprès des producteurs. Et grâce à cette démarche, je vends beaucoup de pierres fines et précieuses.
L’OHB : Quels sont vos pays de prédilection ?
J. Mazet : Chaque pays produit des gemmes particulières. L’Amérique du Sud avec les émeraudes, les améthystes, le quartz et les topazes impériales. Madagascar où l’on trouve une grande variété de pierres fines et précieuses comme tous les saphirs de couleur. Je me rends aussi en Italie qui est le creuset des coraux dans le monde, avec Van Cleef & Arpel, nous sommes les deux grands spécialistes des coraux à Paris. Sans oublier Tahiti pour les perles.
L’OHB : Comment êtes-vous perçu dans ces pays ?
J. Mazet : Nous sommes bien accueillis. Il existe de grandes disparités entre les producteurs. Il y a les grandes villes minières où sont concentrés les négociants de pierres précieuses et fines, et les très petits producteurs qui vivent et exploitent des lieux comme à l’âge de pierre. On y trouve des petits exploitants miniers qui ont la chance de posséder une petite concession et ils sont très heureux de nous vendre leurs gemmes. Le seul problème que nous pouvons rencontrer dans certains pays, c’est l’insécurité.
L’OHB : Combien faut-il extraire de tonnes de roche pour obtenir quelques grammes de gemme ?
J. Mazet : Dans une mine où je me rends souvent, il faut manipuler environ 100 tonnes de roche par jour, ce qui nécessite une équipe de 30 à 35 personnes. C’est au bout du monde et les conditions d’exploitation sont difficiles : manque d’eau et d’électricité. Au terme d’une journée de travail, on arrive à trouver quelques centaines de grammes d’émeraude, 300 à 500 grammes. Mais sur ce volume sortiront 10 à 20 grammes exploitables en haute joaillerie.
L’OHB : L’exploitation minière demande de gros moyens.
J. Mazet : Il existe de très nombreux gisements en Amérique du Sud. Dans les mines très organisées nous travaillons avec des géologues qui prospectent et déterminent les lieux d’extraction. Pourtant, c’est un domaine qui reste compliqué. Il peut être possible de creuser un mois sans aucune trouvaille, malgré l’appui des scientifiques. A l’inverse, vous trouvez les petits prospecteurs avec pelles et pioches qui exploitent une toute petite mine d’environ deux mètres de diamètre. Ils réussissent parfois à s’enrichir, ou à user leur jeunesse sans trouver la moindre pierre. Ces petits exploitants sont très nombreux.
L’OHB : Vous êtes un vrai passionné.
J. Mazet : Pour un négociant-joaillier, la recherche des pierres sur le terrain procure une sensation extraordinaire et c’est absolument passionnant. Parcourir le monde pour trouver un « brut » magnifique prolonge l’histoire des chercheurs de pierres qui existent depuis des siècles. A part les transports rapides d’aujourd’hui, le métier n’a guère changé. D’ailleurs nous n’avons rien inventé, la diversité des gemmes utilisées en joaillerie – très ancienne – est impressionnante.
L’OHB : Pensez-vous qu’il existe une place pour les créateurs indépendants, comme vous, en dehors des maisons de grande renommée qui appartiennent presque toutes à des groupes internationaux ?
J. Mazet : J’ai toujours voulu rester une maison artisanale, mon fils m’a rejoint et prendra la relève dans le même esprit, mais avec des compétences complémentaires aux miennes, comme le commerce international. Nous avons évidemment la grande chance de posséder un emplacement de premier choix à Paris, avec une clientèle locale qui préfère l’unicité de nos fabrications.
L’OHB : Entretenez-vous des relations avec des écoles qui forment aux métiers de la joaillerie ?
J. Mazet : Oui, tout particulièrement avec l’école de la rue du Louvre qui est de très grande qualité et reste en contact permanent avec les maisons comme la nôtre. Les professeurs sont très dévoués avec un encadrement personnalisé et le directeur pédagogique Monsieur Baldocchi s’implique beaucoup pour ses élèves. Nous entretenons des liens étroits avec cette école, ce qui est un excellent moyen de faire connaître les métiers de la joaillerie. Lorsque nous présentons à un client une pièce finie, il est souvent loin de se rendre compte de toutes les étapes nécessaires à la confection de son bijou. Quand on est « à la cheville », c’est-a-dire à l’établi, il ne faut pas avoir peur de se salir les mains. C’est l’envers du décor.