BIG DATA, RECHERCHE ET DÉVELOPPEMENT
À l’image d’un capitaine qui navigue dans une mer agitée, le chef d’entreprise doit garder les yeux rivés sur le bon cap. Comment trouver la bonne direction pour créer ses produits ? Depuis quelques années, il semblerait que la récupération et l’analyse de données semblent être le nouveau système de référence pour orienter les stratégies de nombreuses grandes entreprises. Le fait d’observer le comportement des consommateurs en analysant, en temps réel, leurs traces laissées dans le « cloud » via, les réseaux sociaux, la géolocalisation ou le paiement en ligne, permet aux marques de proposer des produits en phase avec les besoins et envies de leurs cibles. L’interprétation des bases de données peut offrir des visions prospectives pertinentes.
LE TERRITOIRE DE LA MARQUE
En dehors de ces considérations rationnelles, et pour revenir à des données émotionnelles liées au domaine du style, une question importante se pose : où et comment une marque peut-elle trouver son inspiration ? Dans un premier temps, une marque doit définir son territoire, c’est-à-dire l’ensemble des segments sur lesquels elle envisage d’opérer et qui accompagnent sa représentation. Le territoire de la marque c’est l’univers dans lequel elle est considérée comme légitime par sa cible et qui est le résultat de son histoire. La question du style doit donc réponde aux valeurs de la marque et à l’interprétation des codes et références de la cible visée. Quand les paradigmes de la consommation évoluent là où les schémas collaboratifs se développent, on interroge la pertinence de l’usage par rapport à la propriété. Plus que jamais, la marque doit faire rêver, elle doit pouvoir raconter des histoires qui donnent envie de posséder le produit, surtout en bijouterie où le client « fait corps » avec l’objet. À ce propos, pour ces 165 ans, la maison Cartier nous a offert une exceptionnelle démonstration de « story telling ». Avec le film « l’Odyssée de Cartier », réalisé par Bruno Aveillan, la maison Cartier nous a transportés, en moins de 4 minutes, dans près de deux siècles de création. Son territoire ayant été délimité, il appartient alors à la marque de partir à la conquête de sa cible, et la question du style rentre dans le processus de reconnaissance. En effet, à moins d’être le roi de la grande distribution, celui qui veut plaire à tout le monde risquera de ne plaire à personne ! À cet effet, il est important que la marque ait ses fondamentaux. Par exemple, la bague aux trois ors « Trinity », datant des années 1920, fait partie des fondamentaux de la maison Cartier et est toujours en collection. Une marque doit « marquer ». Elle doit être reconnaissable et c’est, entre autres, ce qui fait sa valeur ajoutée. À ce propos, la justice a fini par condamner Little Marcel en juin dernier, pour concurrence déloyale et parasitisme contre Sonia Rykel, à propos de l’utilisation de ses fameuses rayures multicolores.
S’ADAPTER À L’ÈRE DU TEMPS
Même si la marque possède ses fondamentaux, elle doit néanmoins être en perpétuelle évolution pour continuer à séduire et partir à la conquête de nouveaux marchés. Où peut-elle trouver l’inspiration qui dirigera son plan de collection ? En matière de créativité, on constate malheureusement une certaine tendance au parasitisme. En effet, de nombreuses marques observent et reproduisent le génie des créateurs qui occupent le devant de la scène. Pourtant, les données « inspirantes » ne sont pas forcément l’apanage du monde de la mode et du style. Pourquoi ne pas chercher l’inspiration dans les mouvements de société, exprimés au travers des faits d’actualité ? En bref, au lieu de se copier les uns sur les autres, au risque de ressembler à tout le monde, donc à personne, chacun peut trouver sa propre source intarissable d’inspiration dans le monde qui l’entoure, le décrypter et le mettre en phase avec son territoire de marque. Face à l’urbanisation mondiale, Michel Maffessoli (scociologue père du concept de «Tribu» et de « Nomadisme ») a soulevé le paradoxe dans lequel se développent nos sociétés modernes qui créent des synergies entre l’archaïque et le développement technologique. L’explosion du Big data et l’exploitation des données plus ou moins privées, posent la question de la liberté. En effet, devant un monde de plus en plus saturé, pollué, où la nature crie et se meurt, le besoin de rupture se fait sentir. On se penche sur les horizons lointains, les cultures « alchimiques ». Ce qui génère une véritable fascination pour les peuples « premiers » dont les codes de représentation esthétiques font corps avec la nature. Dans ce contexte, les bijoux inspirés de parures de cérémonies, agrémentés de matériaux bruts tels des peaux, plumes, os, crânes et, pourquoi pas, des cheveux, peuvent trouver l’adhésion du public. Le bijou devient alors un talisman qui apporte pouvoir et protection à celui qui le porte. Il permet à l’homme moderne, en demande d’exotisme, d’exprimer sa rupture avec le système ou d’avoir l’illusion de conquérir les horizons lointains et d’en prendre le pouvoir.
TRAVAILLER SOUS INFLUENCES
Néanmoins, en ces temps de prise de conscience, l’appropriation culturelle peut provoquer des polémiques, et générer des malaises même si, pour le créateur et pour ceux qui les portent, les motivations peuvent être de l’ordre de l’admiration et de l’hommage. Les polémiques sur les orientations stylistiques mettent le doigt sur l’importance pour une marque de ne pas faire de « copier-coller » mais de travailler « sous influences » tout en gardant à l’esprit les limites fixées par son territoire. Ainsi, pour continuer à gagner l’adhésion de son public, la marque doit être à l’affût des tendances et des courants porteurs, perceptibles dans l’observation des schémas de société et des faits d’actualité. Cela lui permettra de prendre les bonnes orientations stylistiques et de continuer à faire rêver. Mais le travail ne s’arrête pas là, une fois la collection créée, comment choisir les bons canaux de distribution ?
Nelly Sitbon
Chasseurs d’influences
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