Quelle part de marché occupe le diamant synthétique ? Fera-t-il rêver demain ? Quels sont les défis pour la filière du diamant naturel ? Le point en quelques chiffres.
Un marché en forte croissance ?
D’après les chiffres de Francéclat, la part du diamant synthétique aurait représenté 6 % des ventes de solitaires montés de 0,30 à 1,50 carat (0,5 % toutes tailles confondues) au 4ème trimestre 2018. C’est un chiffre non négligeable et sans doute appelé à prendre de l’importance.
Aux États-Unis, les synthétiques, déjà implantés depuis plusieurs années, prennent lentement leur place. A titre d’exemple, la marque Lightbox (De Beers) construit actuellement un nouveau centre dans l’Oregon qui produira 200 000 carats de taillés en pleine capacité, contre 20 000 aujourd’hui.
Lors du dernier salon JCK de Las Vegas, l’espace dédié au diamant synthétique qui réunissait 29 exposants sur 600 m2 a vu sa fréquentation exploser (+ 40%). Mais le marché est encore petit. Il se situerait, au niveau mondial, aux alentours de 500 millions de dollars comparés aux 20 milliards que représente celui du diamant naturel taillé.
L’inde et la Chine, principaux foyers de production
La production mondiale annuelle de diamants synthétiques est d’environ 3 à 5 millions de carats de brut, contre 140 millions de carats de naturels bruts. La Chine et l’Inde sont de loin les principaux producteurs. La première fournit environ 12 milliards de carats chaque année pour des applications industrielles du secteur de l’abrasion. Inévitablement, elle cherchera à monter en gamme et à s’introduire sur le secteur joaillier.
L’Inde abrite un nombre en rapide augmentation de producteurs de synthétiques qui ont accès, sur place, au plus grand centre de taille de diamants au monde.
Ils disposent d’un autre avantage concurrentiel non négligeable : la subvention de l’énergie. Or le tarif de l’électricité est le plus gros coût variable des producteurs.
Pression à la baisse des prix, bonne ou mauvaise nouvelle ?
Avec la multiplication des capacités de production, l’arrivée de nouvelles marques et les progrès technologiques dans la fabrication du diamant, la pression à la baisse des prix du synthétique risque d’être forte. Lightbox affiche un prix au carat de 800 $ mais un diamantaire estime que le prix pourrait descendre à terme jusqu’à 200, voire 100 $. Ce qui est une bonne nouvelle pour les clients ne le sera pas pour les marques de synthétiques.
Sur le marché américain, les prix de cession de ces diamants ont déjà perdu 60 % en une année. Malgré tout, les ventes n’ont pas percé.
Pour mémoire, les rubis, émeraudes et saphirs synthétiques s’achètent à 10 % du prix des naturels. Il est vrai que leurs fabricants n’ont jamais tenté de s’installer en joaillerie comme c’est le cas pour le diamant actuellement.
Le défi majeur : la confusion
Le problème le plus aigu auquel est confronté la filière du diamant est la confusion synthétique/naturel. Les laboratoires de gemmologie se voient confiés de plus en plus de synthétiques (hors mêlés, analysés en amont par les machines de détection).
Aurélien Delaunay, directeur du Laboratoire Français de Gemmologie (LFG), constate des progrès constants en termes de dimensions, pureté, couleur mais affirme que la différence est toujours visible.
Le sujet est plus compliqué pour les diamants de couleur, qui sont traités après la synthèse, ce qui les rend moins immédiatement identifiables.
Mais pour le directeur du LFG, la principale préoccupation concerne les mêlés, souvent pollués par les synthétiques. Les appareils de détection se perfectionnent sans cesse pour les évincer.
Le risque de perte de confiance
La filière s’organise face à ce défi permanent. Outil efficace, le programme ASSURE de la Diamond Producers Association (DPA) permet de tester les appareils de détection les plus performants sur le marché (voir à ce sujet notre article dans le numéro de Septembre 2019 et le site https://diamondproducers.com/ assure). Malgré tout, cette détection de la fraude a un coût. Certains négociants hésitent devant l’investissement, renoncent à faire analyser les pierres ou se limitent à un échantillonnage.
L’enjeu est énorme. Ce phénomène de confusion et de mélange, mal endigué, pourrait faire des ravages. La perte de confiance des clients serait inévitable.
Le projet français
Alix Gicquel est chercheuse et fondatrice de Diam Concept, le premier
fabricant de diamants synthétiques en France. Son laboratoire, partenaire du CNRS, développe avec Air Liquide un projet d’une vingtaine de réacteurs qui lui permettront, d’ici 4 à 5 ans, de produire 10 000 carats par an. Elle a déjà de nombreuses demandes.
Son objectif est d’améliorer sans cesse la qualité des pierres et elle travaille en particulier sur ses diamants de couleur pour obtenir la «teinte parfaite ». Elle est persuadée que les grands joailliers viendront tôt ou tard vers le synthétique «quand ils ne trouveront plus sur le marché ce qu’ils recherchent » (des très belles pierres ou des grosses tailles). Aujourd’hui, « ils ne sont pas encore prêts ».
Un autre marketing
Alix Gicquel aimerait aussi que l’on sorte de la « guerre » de l’éthique, qui, selon elle, n’a aucun intérêt à terme. L’attaque est pourtant venue de son camp. Les producteurs de diamants naturels ont riposté en pointant le bilan carbone catastrophique du diamant de laboratoire.
Ils ont aussi mis en avant le Kimberley Process et les retombées socio-économiques positives des activités de la mine sur les populations locales (voir notre numéro de novembre dernier « L’éthique du diamant naturel »).
Au lieu de s’enliser dans ces batailles de chiffres, ne vaut-il pas mieux réfléchir à un nouveau modèle ?
Il manque encore aux marques utilisant les diamants synthétiques une vision à long terme et une créativité différenciante. Gagner et surtout fidéliser la clientèle passe par un réel positionnement marketing.
Les marques de mode ou de beauté responsables, par exemple, l’ont compris d’emblée. Sans s’enfermer dans une polémique exclusivement portée sur l’écologie, elles communiquent sur leur créativité et entretiennent la désirabilité.
De son côté, la filière du diamant naturel s’emploie à redonner du souffle à une vision portée par la rareté et l’émotion, qui ont toujours été ses piliers fondateurs. Le diamant synthétique ne souffre-t-il pas, justement, de ce déficit de rêve qui est la définition même du luxe ?
L’arrivée du diamant synthétique ouvre à terme un nouveau marché qui aura sa place dans l’univers du bijou. Les chiffres ne préfigurent pas le raz-de-marée annoncé mais les acteurs de la filière du naturel anticipent déjà leur réponse sur le caractère authentique, rare et précieux de leurs pierres. Marquage, traçabilité, discours éthique s’inviteront dans le débat qui, espérons-le, n’éloignera pas le client de l’univers émotionnel lié à cette pierre sublime entre toutes, le diamant. I. H.