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Portée par un marché particulièrement dynamique, l’activité des ateliers de joaillerie connaît un essor spectaculaire, au risque de la saturation. Une situation qui change en profondeur l’organisation du secteur.

Après des années difficiles, les ateliers de joaillerie français connaissent depuis la fin de la pandémie de Covid une hausse spectaculaire de leur activité, dopée par un marché du bijou particulièrement dynamique. Conséquence : les carnets de commandes sont pleins, les délais s’allongent, les ateliers saturent. Pour faire face à un phénomène qui ne cesse de se confirmer, les maisons de haute joaillerie ont trouvé la parade : renforcer leur capacité de production et en garder la maîtrise en rachetant des ateliers.

LVMH, qui compte huit maisons de montres et joaillerie, dont la célèbre griffe new-yorkaise Tiffany & Co., acquise en 2021, a ainsi pris en avril 2023 une participation majoritaire dans le groupe français Platinum Invest, propriétaire de deux fabricants de bijoux, Orest et Abysse, et disposant en tout d’un réseau de cinq ateliers dans le Grand Est. La maison Bulgari, également détenue par LVMH, prévoit, quant à elle, d’agrandir son usine de fabrication à Valenza, en Italie, avec l’objectif de doubler sa capacité de production d’ici à 2025.

Rachetés par les grandes maisons
Le 31 octobre dernier, c’était au tour de Boucheron, filiale du groupe Kering, de renforcer sa capacité de production par l’acquisition d’un atelier de haute joaillerie de la place Vendôme, situé à deux pas de son propre atelier historique, opération qui lui a permis d’intégrer à son équipe une soixantaine d’artisans hautement qualifiés, concepteurs, joailliers, lapidaires, sertisseurs et polisseurs.

Autre solution : créer sa propre manufacture, comme prévoit de le faire Van Cleef & Arpels qui a annoncé en avril 2023 la création de deux unités de production en région Rhône-Alpes, ou comme l’a fait Cartier au début de l’année dernière en ouvrant un nouveau site à Turin, en Italie.

Recherchés désespérément par les petites structures
Mais pour les maisons plus petites, qui n’ont pas les moyens d’acheter, trouver un atelier avec qui travailler peut se transformer en véritable parcours du combattant. Caroline Denis, créatrice de Jolly Bijoux, en a fait l’expérience lors de son retour en France en 2022 après sept ans passés aux États-Unis où elle a lancé sa marque en 2017. «Le premier atelier que j’ai contacté m’a répondu qu’il ne travaillait qu’avec les marques de la Place Vendôme, un autre a accepté d’étudier mes pièces mais a également décliné ma proposition par manque de temps, reconnaissant que sa priorité allait aux commandes des grandes maisons.

J’ai fini par trouver un atelier dans le 9e arrondissement de Paris mais les délais sont très longs. Je produis à la demande et heureusement, mes clients, conscients des spécificités de l’artisanat, acceptent de patienter. Je ne m’attendais pas à ce que ce soit si compliqué. À New-York, je travaillais avec plusieurs équipes sans problème ». Certains créateurs, en désespoir de cause, se tournent vers des ateliers étrangers, notamment au Portugal. Mais par réaction en chaîne, les ateliers portugais commencent eux aussi à saturer.

Un besoin en artisans qualifiés
Difficile de dire si l’engouement actuel pour le bijou s’inscrira dans la durée. La situation met en tout cas en lumière le déficit de main d’œuvre qualifiée. Conséquence : les ateliers voient parfois leurs meilleurs éléments se faire débaucher par les grandes maisons. Attirés par le prestige de la marque et la perspective de salaires plus attractifs, certains cèdent à la tentation. Un renforcement des effectifs dans les formations apparaît comme indispensable pour venir à bout de la pénurie actuelle. Mais un changement d’approche est peut-être également nécessaire.

Les postes proposés concernent souvent des tâches uniques répétitives, peu attractives pour les jeunes diplômés, et qui ne permettent pas aux nouvelles recrues de se former à toute la complexité du métier et de se bâtir une expérience diversifiée. Les grandes maisons ont pris conscience de l’enjeu que constitue la formation, certaines créant leur propre école. L’une des futures manufactures de Van Cleef & Arpels en Rhône-Alpes accueillera par exemple une pépinière qui proposera à des jeunes élèves un parcours d’apprentissage des gestes du métier. V.H.