Depuis quelques années on assiste à l’arrivée de jeunes marques françaises en horlogerie. Comment l’interpréter ? Patrice Besnard, Délégué général de France Horlogerie nous livre quelques éléments de réponse.
L’OFFICIEL HORLOGERIE & BIJOUTERIE : Comment expliquer ce réveil actuel de l’horlogerie française ?
PATRICE BESNARD : Avec les traumatismes de l’affaire Lip, la crise liée à la technologie quartz qui s’est accompagnée de la déferlante asiatique, la montée en puissance des marques suisses avec la délocalisation de groupes français vers la Suisse, on a longtemps occulté le fait que la France était un pays de tradition horlogère. Pourtant même pendant les années de crise du quartz, il y a toujours eu des marques qui se sont créées : Pierre Lannier en est le meilleur exemple dans les années 80, plus récemment il y a Matwatches.
Ensuite la France a conservé une partie de son potentiel de fabrication en composants, y compris dans la fabrication de pièces du mouvement, même si nous ne disposons plus d’un fabricant français à fort volume comme l’était France Ebauches, et en assemblage comme Michel Herbelin pour l’industrie de la montre. La France a conservé son réseau d’écoles, de laboratoires et de musées qui ont continué à entretenir cette flamme horlogère.
À cela, s’est ajouté le retour de marques mythiques qui réintègrent des opérations de fabrication en France, comme Lip qui a développé son atelier d’assemblage sur Besançon ou Yema qui propose un mouvement « maison » histoire de sortir de la dépendance extérieure.
L’OHB : Quelle est la typologie de ces jeunes pousses ?
P. BESNARD : Nous constatons la conjonction de deux séries d’entrepreneurs : les premiers reviennent de Suisse avec la volonté de faire autre chose en développant leur propre marque ; les seconds axent leur développement sur la création, la technicité et le retour au made in France. Cette conjonction a été amplifiée par Internet qui permet de se faire connaître via notamment le kickstarting et lancer des collections sans les contraintes liées à la distribution spécialisée.
L’OHB : Quelle a été la recette gagnante de ces jeunes marques à succès ?
P. BESNARD : Voyons ensemble quelques exemples de réussite. En matière de création, le succès de Fob est lié à la vision new-look de la montre de poche en la transformant en véritable bijou, montre de poche qui, il faut bien l’avouer, était un marché atone. Depuis Paris, la marque a fait son chemin en proposant des montres solaires et en ouvrant son magasin de référence dans le Marais.
Depuis Romans, Routine fonde son ADN sur l’optimisation du made in France et le lancement de sa première collection s’est accompagné d’une véritable mise en valeur de ses fournisseurs, prenant ainsi le contrepied d’une tradition du silence chez certaines grandes marques.
À Besançon, Phenomen s’appuie sur la haute technicité horlogère et personne ne pouvait imaginer qu’en France l’on puisse proposer des montres de prix au design inspiré de l’automobile.
Il en est de même pour MW & Co, basée à Toulouse, avec un boîtier disruptif dont les cornes s’inspirent des amortisseurs tout en appliquant un émaillage sur la boîte qui conjugue savoir-faire traditionnel et modernité.
À Paris, Trilobe propose un nouveau concept de lecture de l’heure qui oublie les aiguilles pour se concentrer sur les roues du Temps et n’hésite pas à se positionner dans le domaine de la haute horlogerie.
DWYT joue la fi bre environnementale avec ses montres en bois tout en ayant débuté par l’ouverture de son propre concept de magasin à Lyon dans un carré de créateurs, pour mettre en scène ses produits.
Hegid joue sur la modularité de ses montres avec une capsule sur laquelle se clipse la boîte ou le bracelet de votre choix. La marque propose désormais d’essayer ses montres en ligne comme quoi la réalité augmentée n’est pas une technologie seulement réservée aux grandes entreprises.
Dans un concept et design différents Fugue accompagne ce souci de modularité en offrant la possibilité de changer la carrure. Amateur d’horlogerie, son créateur n’a pas hésité à reprendre les chemins de l’école pour s’imprégner des techniques horlogères au lycée Pierre Girard à Paris.
Toujours dans la recherche de la modularité, Halchimy a lancé à Paris une collection de montres où le bracelet et les cornes sont interchangeables, une nouvelle dénomination le « bracelug » !
Reservoir s’inspire des anciens compteurs de temps issus de la marine, de l’aviation ou de l’automobile et propose depuis Paris une lecture radicale de l’heure.
Basée à Nice, Black Goose s’appuie pour la création de ses montres assemblées à Besançon sur la rencontre entre le monde de l’automobile et celui de l’horlogerie, la proximité du grand prix de Monaco sans doute !
Depuis les Landes, Semper & Adhuc s’attèle à la reconfiguration de mouvements anciens, tous mécaniques, pour proposer de nouvelles montres.
À Quimper, Cyril Brivet-Naudot fabrique ses montres à l’unité ainsi que l’intégralité de ses pièces entretenant ainsi la tradition de l’artisan horloger.
Sans parler des derniers arrivés qui viennent de se lancer. Issu du milieu du design, le fondateur de SYE inaugure le « sport tayloring » au poignet tandis qu’Apose veut sortir des excès de sophistication à outrance de certaines grandes marques pour revenir à des modèles épurés. Ce bref panorama illustre la diversité des approches mais aussi des gammes de prix.
L’OHB : Peut-on en conclure que la France horlogère repasse à l’offensive ?
P. BESNARD : L’émergence foisonnante de ces nouvelles marques devrait conduire à renforcer le potentiel français de fabrication et d’assemblage. On constate d’ailleurs l’arrivée de nouveaux entrants dans les composants à l’image : d’Avel & Men qui depuis la Bretagne fait entrer la toile de voile dans l’accessoire de la montre avec la réalisation de bracelets. De Silmach à Besançon qui offre une nouvelle conception de mouvement avec un micromoteur au silicium, un mouvement made in France qui se substitue au mouvement de type Lavet (quartz) et permet d’envisager aussi de nouvelles fonctionnalités.
Vulkam à Grenoble qui, start-up spécialisée en matériaux amorphes (par moulage), propose de réaliser entre autres des applications décoratives pour les pièces de mouvement ou la lunette. C’est aussi une chance pour les distributeurs français de redevenir des prescripteurs en mettant en avant la diversité et la qualité de l’offre des fabricants de montres français. M.T.
Patrice Besnard, Délégué général France Horlogerie – Industries du Temps et des Microtechniques 22 avenue FD Roosevelt – 75008 PARIS
Tél : 33 (0) 1 53 77 29 00 Portable : 33 (0) 6 08 91 58 77