La crise sanitaire a bouleversé le monde du luxe comme celui de l’art. L’e-commerce et les ventes aux enchères ont pris le relais d’un réseau de boutiques fermées. Faut-il s’en plaindre ? Oui… et non car pendant la crise, les marques horlogères ont inventé de nouveaux modèles et montré que l’e-commerce pouvait offrir des ressources.
Des chiffres encourageants
Les chiffres des ventes horlogères suisses afficheront-ils de mauvais scores en fin d’année ? Selon les chiffres de la FHH, la Chine semble tourner à haut régime. Au mois d’août, elle a enregistré une augmentation des ventes de 45 %, en forte croissance pour le 3ème mois consécutif. Entre avril et juin, les ventes du groupe Richemont dans le pays ont bondi de 47 %. Ces chiffres montrent que le marché chinois local a pris le relais du marché international, privé de ses touristes asiatiques.
À l’heure où nous écrivons cet article, les chiffres semblent donc encourageants, même si les prévisions sont encore à -25 à -45 % par rapport à 2019.
Salons virtuels animés
Les salons incontournables, Watches & Wonders, le SIHH et Baselworld ont été annulés. Watches & Wonders a rebondi face à cette nouvelle situation en lançant une plateforme permettant aux marques de présenter leurs nouveautés. Trente marques en tout étaient présentes sur la plateforme. En revanche, il est probable que le salon de Bâle, moribond, recevra le coup de grâce de cette épidémie. De nombreuses marques sont déjà parties. Le Swatch Group, les marques horlogères de LVMH et d’autres exposants prestigieux avaient déjà quitté le navire pour se lancer dans d’autres rencontres de leur côté.
Une activité d’e-commerce dynamique
À fin 2019, le Digital Luxury Group, agence de marketing suisse, estimait que les ventes de montres de luxe sur Internet s’étaient multipliées par quatre par rapport à 2018. Les chiffres 2020 devraient être encore supérieurs. En attendant, la plus grande surprise est venue de la Maison suisse Patek Philippe, plus connue pour ses listes d’attente restreintes et un délai de livraison qui se mesure parfois en années. L’horloger suisse a cédé aux sirènes du e-commerce et ne se prononce pas encore sur la suite qu’il donnera à cette initiative une fois les choses revenues à la normale. Patek Philippe, prudent, conservera donc peut-être ses ventes en ligne.
Un peu plus bas dans la pyramide du luxe horloger, de nombreuses marques ont intégré l’e-commerce sur leur site ou font appel à des plateformes externalisées. Oméga, Baume & Mercier, Chopard, Jaeger- LeCoultre, Louis Vuitton, etc. pratiquent aussi la vente via leurs réseaux sociaux (s-commerce ou social shopping). Le retail s’active de son côté pour tenter de sauver du naufrage son chiffre d’affaires tels que les horlogers-joailliers comme Maier à Lyon, Lepage à Lille et Rouen, Bellini à Aix-en-Provence, Frojo à Marseille, etc. qui vendaient en ligne déjà avant la crise. Sans compter les sites de vente d’articles d’occasion de luxe qui enregistrent de bons chiffres, à l’instar des ventes aux enchères en ligne de montres, bijoux et autres objets d’art.
Rester visible
En mode et en joaillerie, les initiatives ont été nombreuses, faisant éclore une créativité inédite. Le défilé de Jacquemus était filmé dans un champ de lavande en Provence, terre d’origine du fondateur. Le magnifique défilé croisière de Dior mettait en scène un orchestre et une inoubliable chorégraphie. Les danseurs rythmaient le passage des mannequins sur la Piazza del Duomo de Lecce, ville chère à Maria Grazzia Chiuri, entièrement illuminée. Dior comme Boucheron ont imaginé des podcasts sur leurs inspirations stylistiques ou leur patrimoine, Chanel a fait des films. Tout a été fait pour continuer à enchanter le public, les clients et les accompagner dans cette période anxiogène. « On ne vous oublie pas » a été le message.
Créer de la proximité
Ces initiatives ont-elles pallié les ventes en berne et le manque de désirabilité ? Ont-elles aidé à surmonter ce moment où la vie sociale était étouffée, sachant que le luxe ne s’entend que dans le contexte d’une vie sociale ? Sans doute, et paradoxalement, cette situation aura peut-être permis aux marques d’être plus proches, virtuellement, de leurs clients. Lors de présentations de nouveautés, il est arrivé que CEO ou directeurs artistiques se soient entretenus en direct avec leurs clients ou avec les journalistes, répondant en live à leurs questions, ce qui est impensable dans le monde réel.
Ce fut le cas en particulier du joaillier Boucheron qui a donné aux journalistes un accès direct à sa directrice des créations Claire Choisne. Ce fut aussi le cas de Chaumet qui a filmé son Directeur Général Jean-Marc Mansvelt, sa directrice du patrimoine Claire Gannet ainsi que ses responsables d’atelier pour dévoiler les coulisses de leur fabuleuse collection Perspectives. Poser des questions à des dirigeants de la marque, à un artisan horloger ou observer un geste de joaillerie, voilà sans doute une nouvelle voie qui, loin de remettre en cause un événement physique, peut le compléter d’une façon gratifiante. I.H.